Texte réalisé suite à une résidence au Frac des Pays de la
Loire,
à Carquefou, en 2013
Rémanents, 2013
Sans titre, 2013
Fortement inspirées par l'architecture, les matériaux de construction et de
bricolage, les sculptures de Simon Thiou sont issues de l’observation d’espaces
de transition : zone périurbaine, chantier, salle d’attente…. Poursuivant des
recherches amorcées au cours de ces dernières années d'étude, se dessine
aujourd'hui l'amorce d'un parcours cohérent marqué par l'architecture moderne,
sa géométrie, sa structure, ses matériaux et leur précaire pérennité.
L'œuvre intitulée Les Rémanents, réalisée durant sa résidence au Frac des Pays
de la Loire, est née de la rencontre d'une scène que l'on pourrait rapidement
qualifier de « désolée » : un poteau de béton arraché git au sol, ses racines
de ciment encore tenaces et figées résistent malgré leur vacuité. Cette œuvre
porte probablement en mémoire ces arbres en béton des Frères Martel réalisés en
1925 dans l'euphorie de l'utopie moderniste qui glorifiait les nouveaux
matériaux comme promesse d'un monde providentiel. Près d'un siècle s'est écoulé,
et le déracinement d'un poteau ordinaire, sa mise à terre, évoque nos paysages
actuels abîmés, les décors banals de nos villes étendues. Ces gisants portent en
eux toute la force et la puissance d'un soulèvement à la violence sourde.
Simon Thiou extrait de ce réel ordinaire une force poétique par la modélisation
en 3 dimensions de la photographie initiale. Nature morte ou sculpture de
trottoir figée dans la mémoire d'un appareil photo, l'objet ruiné et abattu
s'est mué en dessin profilé. Dans ce passage, l'artiste transforme l'existant
en projet, le passé en avenir. Cette inversion de la temporalité inscrit cette
œuvre dans la continuité d'un travail sur la mémoire qui traversent ses œuvres
(le titre de la sculpture en témoigne). Les Rémanents dessinent aussi l'amorce
d'une prolifération, ils sont aujourd'hui au nombre de trois et leur
développement est en cours. Ils sont posés au sol, entravent l'espace, barrent
la route, et semblent défier la mesure du lieu, tels des encombrants majestueux
avec qui le spectateur doit composer. La relation à l'architecture se joue à
nouveau dans cet instant de confrontation au lieu d'exposition.
Les trois sculptures réalisées à partir d'un polystyrène gris et moiré à la
découpe soignée offrent dans la distance prise avec le réel une même qualité
immatérielle. L'aspect industriel des œuvres de Simon Thiou renforce cette
impression. Mais loin de confier la réalisation à d'autres, l'artiste avec la
maîtrise d'un savoir faire qu'il expérimente, prend à bras le corps la question
de la fabrication comme élément fondateur d'une pratique de la sculpture. Ce
positionnement rapproche Simon Thiou d'une nouvelle génération de sculpteurs qui
réinvestissent gestes et maîtrise technique dans la découpe, l'assemblage, le
façonnage des matériaux. Des techniques apprivoisées et expérimentées pour un
rendu soigné, industriel, un bricolage de haut-niveau.
Du bricolage il en est question dans l'œuvre Sans titre réalisée à partir de la
forme des boîtes à onglets. Ces boites qui se présentent sous la forme d'un
profilé en U sont des gabarits de coupe utilisées en menuiserie, produites de
manière industrielle et standardisées. Réalisées et façonnées ici par l'artiste
en bois noble (en hêtre), elles ressemblent à s'y méprendre à cet outil commun
que l'on voit dans tout atelier de bricolage. Regroupées en nombre (il y en a plus
d'une trentaine), elles s'inscrivent dans l'usage de la prolifération comme
système de construction inhérent à la pratique de la sculpture par l'artiste.
Devant l'apparent désordre de leur disposition au sol se joue une organisation
sur un plan orthonormé, une grille discrète qui sous-tend leur placement. A
l'instar des plans de villes américaines ou d'une toile de Mondrian, le
quadrillage assoit la composition et induit la relation des éléments entre eux.
La notion d'intervalle entre les boîtes qui n'est jamais le même, crée un rythme
chaotique sorte de contrepoint à l'harmonie géométrique de la grille. Les espaces
entre-deux, les vides structurent ainsi l'ensemble, tout comme les découpes des
boîtes, ce réseau d'obliques si semblables et pourtant toutes différentes. Au
développement potentiellement infini, cette ensemble de pièces uniques déplace et
remet en jeu les piliers de la modernité.
Vanina Andréani
(chargée de la diffusion de la collection au Frac des Pays de la Loire, Carquefou)